Prise en charge de l’instabilité de l’épaule en cours de saison sportive : comment évaluer, traiter et reprendre le sport en sécurité

Jan 17 / 11Leader
L’instabilité glénohumérale antérieure est une blessure courante dans les sports de contact, et la prise en charge au cours de la saison reste aujourd’hui controversée. De récentes études ont examiné des prises en charge après traitement conservateur et chirurgical chez des athlètes ayant subit des épisodes d’instabilité. Le traitement conservateur est associé à un retour au sport plus rapide et à un taux de récidive plus élevé. Les luxations et subluxations ont des taux de récidives similaires mais après traitement conservateur, les subluxations sont associées à un retour au sport plus rapide que les luxations. Le traitement chirurgical est souvent une décision prise en fin de saison sportive mais présente un taux de retour au sport plus élevé et une diminution significative du taux de récidive.
Les indications pour une intervention chirurgicale en cours de saison peuvent inclure une perte osseuse glénoïdienne importante (>15%), une lésion off-track de Hill-Sachs, une lésion de Bankart osseuse aigüe, des lésions de tissus mous (e.g. avulsion humérale du ligament glénohuméral (HAGL) ou une avulsion du manchon labroligamentaire antérieur (ALPSA)), une instabilité récidivante, une durée de réhabilitation insuffisante, et une incapacité au retour au sport avec réhabilitation. C’est le rôle du staff médical d’informer correctement les athlètes sur les risques et les avantages des stratégies de traitement opératoire et conservateur, et de les guider dans un processus de prise de décision partagée prenant en considération les risques et les objectifs de santé et de carrière sportive à long terme. 

Introduction

L’épaule est l’articulation la plus mobile du corps avec 6 degrés de libertés, prédisposant les athlètes à des instabilités d’épaules, notamment chez les jeunes, dans les sports de contact, avec un niveau de compétition élevé. Autre fait important, le taux de récidives est également influencé par l’âge et le niveau de pratique. La prise en charge de l’instabilité de l’épaule au cours d’une saison sportive est une question complexe et nécessite de la part de l’équipe médicale et technique une approche sensibilisée et individualisé dans le but de guider l’athlète au mieux.

Evaluation

 Tests manuels

Immédiatement après un épisode d’instabilité, l'examen peut permettre d’observer une déformation au niveau de l’épaule luxée, avec un comblement du creux à l’avant de l’épaule et une perte du contour de l'épaule. Dans certains cas, l’amplitude articulaire peut être évaluée en douceur, avec des mouvements limités, notamment en rotation interne et externe. De plus, il est important de réaliser un examen neurovasculaire approfondi au moment de la blessure, avant les tentatives de réduction, la lésion du nerf axillaire se produisant dans 5 à 35% des luxations primaires. Il existe plusieurs techniques de réduction d’instabilité, généralement réparties en trois catégories : traction, levier et manipulation scapulaire. Ces techniques seraient équivalentes en terme d’efficacité, mais les auteurs mettent en avant les techniques Fast Reliable and Safe (FARES) et Milch. Une fois l’instabilité réduite, la force et l’arc de mouvement stable en abduction et en rotation peuvent être évalués, en prenant soin de vérifier l'absence de bloc mécanique ou de crépitations. Dans les cas de subluxation et de luxation après réduction, des tests spécifiques permettent de guider les praticiens dans leur diagnostic. Ces tests d’instabilité antérieure ont pour but de recréer une sensation d’instabilité, d’appréhension ou de douleur lors d’une manipulation dynamique de l’articulation (e.g. apprehension test, relocation test, surprise test). La combinaison d’un résultat positif de ces trois tests donne une valeur prédictive positive de 93,6% pour l'instabilité antérieure. Parmi ces trois tests, le surprise test est le plus précis avec une sensibilité et une spécificité de 63,9% et 98,9% respectivement. Pour l’instabilité postérieure, le Kim test (sensibilité : 80% ; spécificité : 94%) et le Jerk test (sensibilité : 73% ; spécificité : 98%), lorsqu’ils sont combinés, présentent une sensibilité de 97% pour une lésion labrale postéroinférieure. 

 Imagerie

Après les tests manuels et la réduction de l’instabilité, des radiographies sont nécessaires afin de confirmer une réduction concentrique de l’articulation glénohumérale. L’IRM permet une évaluation de pathologies osseuses et capsulolabrales, qui peuvent augmenter le risque d’instabilité récidivante avec un traitement conservateur. Par ailleurs, les surfaces articulaires de la glène et de la tête humérale peuvent être évaluées à partir de la tomodensitométrie sans contraste avec reconstructions 3D ou de l’IRM, afin d’observer d’éventuelles fractures ou pertes osseuses. 

 Voie glénoïdienne et perte osseuse glénoïdienne 

La tomodensitométrie sans contraste avec reconstructions 3D est considérée comme le gold standard de l’imagerie pour quantifier la perte osseuse glénoïdienne, évaluer la voie glénoïdienne, et déterminer la distance to dislocation (DTD). 
  • La quantification de la perte osseuse glénoïdienne est importante car elle est associée avec une augmentation du taux d’instabilité récidivante. La perte osseuse critique ou majeure, c’est-à-dire le seuil à partir duquel la procédure chirurgicale doit inclure une augmentation osseuse, est associée à un taux d'échec de la procédure de Bankart allant jusqu'à 75%. Sur la base des données actuelles, les auteurs considèrent que 15 % est un seuil précis pour une perte osseuse critique.
  • Des études ont montré que l’articulation glénohumérale a une voie glénoïdienne naturelle (glenoid track). Il s’agit de l’aire de contact entre la tête humérale et la glène, représentant 83% de la largeur de la glène. La présence d’une fracture de la partie postéro-supérieure de la tête humérale (encoche humérale postérieure ou lésion de Hill-Sachs) dont l'extension médiale dépasse la largeur de la voie glénoïdienne permet à la lésion de "s'engager" dans la glène antérieure et de disloquer l'articulation. Il s’agit alors d’une lésion off-track. D'autre part, les lésions de Hill-Sachs latérales à la largeur de la voie glénoïdienne ne peuvent pas s'engager dans la glène antérieure et sont considérées comme on-track.
  • En complément de l’évaluation de la perte osseuse glénoïdienne et de la voie glénoïdienne, la profondeur, la largeur et la longueur de la lésion de Hill-Sachs peuvent être mesurées. Enfin, la DTD est appréciée à partir de la distance d’une lésion on-track à devenir une lésion off-track et permet d’estimer le risque d’instabilité récidivante.
L’instabilité récidivante serait le premier facteur de risque d’engendrer une perte osseuse (glénoïdienne, humérale ou les deux). En effet, chaque épisode d’instabilité augmenterait les probabilités de 81% de perte osseuse. En raison d’un taux de récidives plus élevé avec un traitement conservateur comparativement à une intervention chirurgicale, et de l’augmentation des pertes osseuses avec l’instabilité récidivante, une stabilisation chirurgicale précoce chez des athlètes à haut risque pourrait être à privilégier.

Traitement 

La prise en charge après un épisode d’instabilité d’épaule au cours de la saison est complexe et multifactorielle. De nombreuses variables doivent être prises en compte : l’âge de l’athlète, le nombre d’épisodes d’instabilité, le mécanisme de blessure, la dominance du membre, les exigences liées au sport et au poste, le moment de la blessure au cours de la saison et les objectifs sportifs individuels. De plus, les caractéristiques de l’imagerie préopératoire (pertes osseuses, lésions de Hill-Sachs, évaluation de la voie glénoïdienne ou tout autre anatomopathologie) peuvent influencer le taux de récidive ou la prise en charge initiale.  

 Traitement conservateur 

Le traitement conservateur est souvent la seule stratégie qui permet à l’athlète un retour au sport au cours de la saison pendant laquelle survient l’instabilité. Mais la littérature suggère un taux de récidives bien plus élevé comparativement à un traitement chirurgical. Par ailleurs, le traitement conservateur permet un retour au sport beaucoup plus rapide (1 à 3 semaines dépendamment du sport et du niveau de compétition), avec un retour au sport plus précoce pour les subluxation comparativement aux luxations. Le taux de récidives après traitement conservateur est très variable au sein de la littérature, allant de 6,2% à 64% pour les instabilités antérieures, et jusqu’à 71% pour les instabilités postérieures.

 Attelle

Aucune étude n’a montré une diminution du taux de récidives après l’utilisation d’une attelle. Toutefois, de nombreux protocoles suggèrent son utilisation lors de la reprise du jeu afin de soulager les symptômes et de rassurer les joueurs. Il existe des attelles fonctionnelles permettant de limiter l’amplitude articulaire de l’épaule et d’empêcher d’aller dans des amplitudes « à risque », mais leur utilisation doit être réfléchie en fonction des exigences du sport, afin de ne pas restreindre les amplitudes fonctionnelles et spécifiques de l’athlète. 

 Réhabilitation physique et critères de retour au sport 

La plupart des études suggèrent un retour au sport après une protocole de réhabilitation accéléré segmenté en trois phases :
  1. Utilisation d’une écharpe d’immobilisation combinée avec de la cryothérapie et des exercices à faible amplitude articulaire, menant à une récupération complète de l’amplitude articulaire maximale sans douleur ;
  2. Exercices de stabilisation et de renforcement des stabilisateurs dynamiques de l’épaule (muscles de la coiffe des rotateurs et périscapulaires), conduisant à une équilibre controlatéral et à une épaule stable sans appréhension ;
  3. Programme de retour au sport se concentrant sur les compétences spécifiques au sport et sur le retour progressif au jeu.

 Préparation psychologique pour le retour au sport 

Récemment, la préparation psychologique au retour au jeu a été identifiée comme un facteur important pour déterminer la capacité d'un joueur à reprendre le sport après une blessure. Le score SI-RSI (Shoulder Instability Return to Sport after Injury) a été développé afin d’évaluer le niveau d’appréhension de l’athlète à reprendre son sport. La littérature lui a démontré une valeur prédictive élevée, avec 2,9 fois plus de chance de retour au sport pour chaque augmentation de 10 points sur le score SI-RSI (/100).  

 Traitement chirurgical

Comparativement au traitement conservateur, la stabilisation chirurgicale de l’épaule résulte en un taux de retour au sport plus important avec un taux de récidives plus faible, et de manière générale, en un retour au sport plus tardif.  

 Préparation psychologique pour le retour au sport 

Il existe de multiples procédures chirurgicales pour le traitement de l’instabilité de l’épaule, notamment la procédure de Bankart (réparation du labrum) à ciel ouvert ou en arthroscopie, ou encore la procédure de butée osseuse antérieure. Les indications chirurgicales dépendent largement des résultats d’imagerie préopératoire et des facteurs de risques individuels, avec des taux et des délais de retour au sport propres à chaque procédure. Par ailleurs, il existerait des facteurs augmentant le risque de récidives après une procédure de Bankart, suggérant alors le recours à la procédure de butée osseuse antérieure : un jeune âge, pratiquer un sport de contacts et/ou overhead, participer à un sport en compétition, la présence de lésions osseuses, une lésion off-track, un score ISIS (Instability Severity Index Score) élevé, un nombre d’ancrages faible (<3) ou encore une hyperlaxité articulaire. 

 Résultats à long terme 

Les études évaluant des effets à long terme (au moins 10 ans) du traitement de l’instabilité par la procédure de Bankart par arthroscopie montrent généralement des taux de retour au sport élevés (77,6% en moyenne), mais avec un taux de récidives relativement élevé (31,2%), ainsi que des preuves radiographiques d'arthropathie chez 59,4% des patients. Des améliorations sont toutefois visibles aujourd’hui avec une utilisation plus fréquente de la procédure par butée osseuse antérieure. 

 Réhabilitation physique et critères de retour au sport 

Historiquement, les délais temporels et des évaluations subjectives de l’amplitude articulaire et de la force ont guidé la prise de décision de retour au sport après stabilisation chirurgicale de Bankart. Plus récemment, la littérature a montré un taux de récidives plus faible avec l’implémentation de tests de retours au sport (5% vs 22%), susceptibles d’identifier des faiblesses, notamment fonctionnelles, pouvant exposer les athlètes à des instabilités récidivantes. 

Conclusion

Conclusion

Conclusion

Conclusion

Conclusion

Conclusion

Conclusion

La prise en charge de l’instabilité de l’épaule au cours d’une saison sportive nécessite de prendre en compte l’historique du patient et de réaliser une évaluation par imagerie, suivi d'une discussion réfléchie et d’un processus de prise de décision partagée concernant les risques et les avantages d'une prise en charge chirurgicale ou non chirurgicale. Des facteurs tels que la perte osseuse glénoïdienne et les lésions off-track de Hill-Sachs peuvent nécessiter une intervention précoce, plutôt qu’une intervention chirurgicale retardée. La littérature a révélé des taux d’instabilité récurrente plus faibles et des taux de retour au sport plus importants avec une prise en charge chirurgicale au moment de la blessure ou à la fin de la saison, tandis que le traitement conservateur facilite un retour au sport plus rapide malgré un risque plus important de développer une anatomopathologie en raison de l'augmentation des récidives.

Figure 1 : cette figure illustre l’algorithme de traitement des auteurs pour la prise en charge de l’instabilité d’épaule en cours de saison sportive, qui doit être combiné avec les objectifs de l’athlète et une présentation détaillée des risques et bénéfices basés sur la littérature présentés dans cette revue. 

Avis du pôle scientifique

Pastille grise
Une revue narrative n’a pas de méthodologie standardisée et ne peut donc pas être évaluée sur sa qualité méthodologique avec des grilles de lecture standards. Les résultats sont à prendre avec précautions, sous forme d’hypothèses, à valider par des études à faible risque de biais dont le design est adapté à la question de recherche

Référence de l’article

ALBERTSON, Benjamin S., TRASOLINI, Nicholas A., RUE, John-Paul H., et al. In-Season Management of Shoulder Instability: How to Evaluate, Treat, and Safely Return to Sport. Current Reviews in Musculoskeletal Medicine, 2023, p. 1-11. doi: 10.1007/s12178-023-09838-y. PMID: 37195384; PMCID: PMC10356723.